Nouvelles
Entrevue avec Robert Howe
L’actualisation de programmes centrée sur le développement de compétences
Le 25 mars 2022, un webinaire en 2 parties a été organisé par le Carrefour de la réussite au collégial. Lors de ce webinaire, Robert Howe, consultant en pédagogie de l’enseignement supérieur, spécialiste en évaluation des apprentissages, a présenté les principes de base de l’approche centrée sur le développement de compétences. Puis, Linda Cormier et Isabelle Pelletier, conseillères pédagogiques, ont proposé une démarche collaborative d’actualisation de programmes.
.
|
Plusieurs questions ont été adressées à Robert Howe lors de ce webinaire. Annie-Claude Prud’homme les a réunies et structurées avant de les soumettre à Robert Howe. Les réponses qui suivent sont fondées sur l’expertise de ce formateur connu et reconnu dans le réseau collégial, et ont pour but de donner suite aux échanges amorcés le 25 mars 2022.
Mise en contexte
L’impact de la structuration de l’enseignement sur la réussite étudiante est mis en relief dans le rapport de la Fédération des cégeps La réussite au cégep : regards rétrospectifs et prospectifs, publié à l’automne 2021. En effet, les programmes d’études se doivent d’être pertinents, cohérents et chargés de sens pour que les étudiants et étudiantes persévèrent et atteignent le niveau de compétence attendu. Les programmes gagnent aussi à tenir compte des acquis de la population étudiante, à permettre un développement progressif de leurs compétences et une évaluation en conséquence. Or, une part importante de cette planification se fait au moment de l’élaboration ou de l’actualisation des programmes d’études, en équipe programme, tant lors de la macroplanification (conception d’un profil de sortie et de l’épreuve synthèse, déploiement des compétences dans le programme, etc.) que lors de la microplanification (rédaction et adoption des plans-cadres).
Dans le contexte actuel où plusieurs devis ministériels sont révisés par le ministère de l’Enseignement supérieur (MES), le Carrefour de la réussite au collégial a offert, le 25 mars 2022, un webinaire pour soutenir le personnel professionnel et le personnel enseignant soucieux de bien comprendre les principes fondamentaux de l’approche centrée sur le développement des compétences et préoccupés par une mise en œuvre favorable à la réussite des étudiants et des étudiantes. L’enregistrement complet ainsi que les diaporamas et la médiagraphie sont disponibles en ligne sur le site du Carrefour de la réussite.
Entretien avec Robert Howe
1. Quels liens peut-on faire entre la mission et les objectifs du Carrefour de la réussite au collégial et la réflexion sur l’élaboration des programmes?
On parle beaucoup de la réussite étudiante, et cet enjeu est discuté sous ses divers aspects. Tous s’accordent pour dire que la «réussite» n’est pas qu’une affaire de notes supérieures à 59 % ni de statistiques de tableaux de bord institutionnels. Pour certains étudiants et étudiantes, «réussir» peut effectivement signifier «passer» leurs cours et obtenir leur diplôme d’enseignement collégial. Mais pour la plupart, «réussir» consiste à atteindre leurs objectifs de formation, à devenir «compétents» et, de là, à construire la suite des choses.
Tous s’entendent pour dire que la «réussite», de quelque manière qu’on la conçoive, implique une responsabilité partagée. Bien sûr, l’étudiant ou l’étudiante se doit… d’étudier. Mais l’École (c’est nous, ça !) se doit de lui offrir un environnement d’apprentissage optimal. Sur ce point, je vous renvoie au rapport que la Fédération des cégeps a publié en 2021, décrivant notamment les pratiques à impact élevé.
Depuis quelque temps, plusieurs programmes de formation sont en chantier de mise à jour. L’École que nous sommes (nous, le réseau de l’enseignement collégial) se doit d’offrir des programmes de formation qui sont pertinents. La société évolue et, pour nos étudiants et étudiantes qui se destinent à l’université comme pour ceux et celles qui se destinent directement au marché du travail comme technologues, techniciens ou techniciennes, les universités et les employeurs redéfinissent les corpus de compétences qu’ils attendent de nos diplômés et diplômées. C’est cette évolution dynamique qui justifie les nombreux chantiers d’actualisation de programmes en cours et à venir.
2. Où en sommes-nous, en 2023, dans notre compréhension des compétences et des objectifs?
Lorsque nous parlons de compétences et d’objectifs d’apprentissage, il y a 2 acteurs en présence. Le 1er acteur, c’est la Société. Le second acteur, c’est le collège, c’est l’École, c’est nous, les professionnels et professionnelles de l’enseignement collégial. Lorsque je parle ici, de la Société, je pense à la société civile, aux employeurs, aux universités qui, individuellement, dans leur perspective d’intérêt, expriment le souhait que des compétences soient développées.
Visualisons ce dialogue entre ces 2 acteurs :
- La Société exprime le besoin que des personnes possèdent des compétences, tantôt dans l’intérêt du marché du travail, tantôt dans la perspective de s’intégrer à des parcours universitaires, tantôt dans le but de permettre aux personnes de bien vivre leur vie personnelle et citoyenne. Elle décrira ces compétences souhaitées et en confiera le développement à l’École sous forme de mandat.
- Nous, l’École (et ceci, de façon générique, inclut tous les acteurs d’un collège), recevons ce mandat (qui constitue notre raison d’être, n’est-ce pas?) et mettons en œuvre l’appareillage pédagogique dont nous sommes experts et expertes afin de le réaliser. Nous allons :
- étudier et interpréter les compétences que la Société nous demande de développer chez nos étudiants et étudiantes
- programmer un processus d’apprentissage et le déployer dans le temps prévu (2 ou 3 ans au collégial)
- énoncer et déployer des objectifs à atteindre de façon progressive
- regrouper ces objectifs dans des activités d’apprentissage structurées de façon à favoriser leur atteinte
- fournir les ressources pertinentes
- En route et à terme, nous allons porter les jugements experts appropriés qui nous permettront d’attester que, oui, les compétences attendues seront considérées comme développées.
Dans ce scénario à 2 acteurs, il va de soi que les étudiants et étudiantes participent des 2 rôles : comme citoyens et citoyennes, ils expriment le besoin de développer des compétences. Comme étudiants et étudiantes dans nos collèges, ils participent aux activités d’apprentissage et, à terme, retournent à la Société comme diplômés.
Au Québec, comme dans la plupart des états, ce dialogue entre le mandant (la Société) et le mandataire (l’École) se fait par le truchement d’un intermédiaire : le ministère de l’Enseignement supérieur (MES). Le MES interroge la Société sur ses besoins, les interprète et les structure sous forme de programme de formation qui, de là, sera confié à l’École (aux collèges) sous forme de mandat.
L’énoncé de compétence nous vient donc de l’extérieur du collège, alors que les objectifs d’apprentissage nous viennent de l’intérieur du collège.
- Lorsque nous lisons des énoncés de compétences, c’est la Société qui parle.
- Lorsque nous lisons des objectifs d’apprentissage, c’est l’École (les collèges) qui parle.
3. Quelles sont les qualités essentielles d’un programme que nous qualifions de pertinent?
Un programme de formation est pertinent lorsqu’il répond à 2 critères : la réponse aux besoins de la Société et la réponse aux besoins des étudiants et étudiantes.
- Les besoins de la Société
- Nous savons que les collèges sont mandatés par la Société pour développer des compétences qui sont utiles, requises, valorisées. Lorsque notre programme de formation est structuré de façon à être cohérent avec ces besoins, lorsqu’il répond au mandat qui lui est confié, il est alors pertinent sur ce critère.
- Les besoins des étudiants et étudiantes
- Lorsque les étudiants et étudiantes s’inscrivent à l’un de nos programmes, c’est qu’ils ou elles savent ou doivent savoir que nous allons répondre à leur besoin de développer les compétences annoncées dans le programme. Ils et elles s’attendent à ce que nous ayons conçu des activités d’apprentissage qui leur permettront d’atteindre les objectifs prévus. Et ces objectifs consistent à les amener à développer les compétences désirées. En conséquence, nos activités d’apprentissage doivent être structurées dans la cohérence et dans la clarté afin que les étudiants et étudiantes y voient du sens, de la bienveillance, de l’accompagnement efficace. Du point de vue des étudiants et étudiantes, le programme de formation est pertinent s’ils font les apprentissages prévus et, à terme, se voient confirmés dans leur… réussite.
4. Pourquoi dites-vous que l’expression «approche par compétences» serait le résultat d’une méprise?
En 2023, cela fera 30 ans que les mesures de renouveau de l’enseignement collégial auront été adoptées. Et j’ai observé, dès 1993, que certaines de ces mesures auraient été mal expliquées et reçues dans l’ambigüité, voire dans l’équivoque. Les épreuves synthèses de programme (ESP) ont longtemps constitué un mystère, tant dans leur forme que dans leur raison d’être. Il aura fallu de nombreuses années de tâtonnement et de pratiques parfois incohérentes et controversées pour en arriver à un équilibre acceptable dans la plupart des collèges.
Il en est de même pour le concept de compétence. Dans le texte de 1993 décrivant ces mesures adoptées pour donner un souffle de renouveau, ajuster le partage de responsabilités entre le ministère et les collèges, et assurer la pertinence des services de formation offerts dans les collèges, le gouvernement du Québec annonçait que désormais, concernant les responsabilités du ministre à l’égard des programmes :
[…] les objectifs désignent les compétences (les habiletés, les connaissances, etc.) que l’on vise à faire maitriser et les standards, les niveaux ou les degrés auxquels ces compétences doivent être maitrisées au collégial.
(Gouvernement du Québec, 1993, p.25)
Ce passage ayant peut-être été mal lu sinon mal compris, on a vite vu apparaitre, dans les écrits et les échanges d’appropriation qui ont suivi, des idées et des mots qui ont habillé le concept de compétence : une «approche», puis la préposition «par». De là, on a vu s’installer l’expression «approche par compétences» et cela, avec le temps, a mené aux abus et dérives que j’ai commentés dans un article paru dans Pédagogie collégiale en 2017. Au fil des ans, et en l’absence tenace de clarifications, sinon par simple facilité, le concept s’est fossilisé. Après bientôt 30 ans, on parle toujours, dans plusieurs milieux, tant collégiaux qu’universitaires, «d’approche par compétences». Pourtant, il ne s’agit pas d’une approche. Dans ces mesures de renouveau de 1993, il n’a jamais été question d’une «approche par». Ce n’est pas une méthode, laissant supposer qu’il y aurait une ou des options, comme dans le monde médical ou le monde de la finance par exemple. Il y a eu méprise et, malheureusement, cela s’est fossilisé dans l’expression «approche par compétences» ou APC.
Depuis 1993, nous sommes simplement (et cela est fondamental) invités à une focalisation sur le résultat de la formation, ce résultat étant désiré et pertinent : la compétence de nos diplômés. Cela implique que la «matière», le savoir disciplinaire vient «après», en appui au projet de développer des compétences. C’était ÇA, l’intention du réseau collégial en nous demandant de (désormais) focaliser d’abord sur les compétences. Était-ce trop simple?
Fort heureusement, ce que j’observe depuis 2 ou 3 ans, c’est que de plus en plus d’établissements prennent leurs distances de l’expression, confuse, d’APC. En résistant à notre propension aux raccourcis langagiers, on y parle désormais de «planification de programme centrée sur le développement de compétences ». Dans certains collèges, on a adopté, en tolérant le mot «approche», l’expression «Approche Centrée sur le Développement de Compétences » ou, pour le rockeur ou la rockeuse en vous: l’ACDC !
Dans les pratiques aussi, l’APC a généré des dérives qui contribuent à la confusion et à des pratiques qui, à terme, ont un impact sur la réussite étudiante. Cette méprise est surtout causée par notre traduction littérale de concepts américains qui, en anglais, ne veulent pas dire la même chose. On s’est mis à évaluer «par compétences», à faire des plans de cours «par compétences». Même au niveau universitaire, on voit des modèles de plan de cours «par compétences». Pire, le mot «approche» a mené des auteurs et autrices à suggérer que l’APC supplantait désormais «l’approche par objectifs» d’apprentissage, donnant à interpréter que les objectifs n’avaient plus leur place. Ces auteurs et autrices, au début des années 2000, ont associé, erronément, les objectifs pédagogiques aux contenus à enseigner. Ils sont même allés jusqu’à accuser les objectifs pédagogiques d’être de nature béhavioriste, ce mot étant, dans la francophonie, perçu comme péjoratif. En discréditant ainsi le rôle des objectifs d’apprentissage, de telles mécompréhensions ont fini par générer des zones de confusion qui, dans certains milieux, subsistent.
Une personne participant au webinaire du 25 mars 2022 nous a appris qu’une de nos universités aurait produit, pour son corps professoral, un modèle de plan de cours par objectifs et un modèle de plan de cours par compétence. Dans une autre université, réputée pour sa formation du personnel enseignant des collèges, on a frileusement abandonné l’usage des objectifs d’apprentissage pour les remplacer par «cibles d’apprentissage».
Source: Educative