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Pour contrer la désinformation

Une bibliothécaire, un enseignant, un journaliste...

La circulation de fausses informations constitue un fléau. Que faire au niveau collégial ?

Par Daniel Samson-Legaut, Portail du réseau collégial

Quand l’élection de Donald Trump a provoqué une explosion de désinformation, Anne-Frédérique Champoux, bibliothécaire au Collège Brébeuf, comme d’autres, a été troublée.

Lorsque, l’année suivante, elle lit dans un clavardage collectif un participant qui s’est demandé si la désinformation n’était pas « la job des professeurs de philosophie au Cégep », elle s’est dit que c’était beaucoup leur mettre sur les épaules.

Elle a réfléchi à la manière de contribuer à faire la part des choses dans la fiabilité des sources d’information. En première ligne pour accompagner les étudiants dans leurs recherches, elle a elle-même fouillé le sujet et commencé ce qui allait devenir une série d’exposés. Elle en a conçu un premier en 2018 en tant qu’animatrice pour le Regroupement des bibliothèques collégiales du Québec (REBICQ).

De la bibliothèque à la salle de classe

Au comité de bibliothèque de Brébeuf, composé d’enseignants de chaque département, le problème a été soulevé que les étudiants ont de la difficulté à évaluer les sources d’information, pourtant une compétence fondamentale en recherche.

Éric Martineau, enseignant, et Anne-Frédérique Champoux, bibliothécaire, du collège Brébeuf

Anne-Frédérique a été encouragée et « poussée » par un des enseignants du collège, Éric Martineau, qui s’intéressait déjà au sujet en tant qu’enseignant mais aussi en tant que responsable du programme de bac international. Il enseigne la chimie. En classe, on lui a parlé d’une capsule sur les réseaux sociaux qui affirmait qu’il y avait autant de carbone dans une mine de crayon que dans le corps humain ! Il a demandé à ses étudiants « Est-ce que c’est possible ? ». « Dans ce cas-là, les calculs étaient simples pour démontrer que l’affirmation était fausse, c’est parfois plus compliqué. » Le besoin devenait réel de sensibiliser les étudiants à détecter la désinformation.

Les étudiants ont de la difficulté à évaluer les sources d’information, pourtant une compétence fondamentale en recherche.

Biais cognitifs, biais de confirmation, la psychologie y est pour beaucoup dans les phénomènes de communication publique. « J’étais sensible aux mécanismes du cerveau qui font qu’on tombe ou non dans le panneau », dit Anne-Frédérique. Il faut penser à ce qui est intentionnel et à ce qui ne l’est pas, au traitement sarcastique et poissons d’avril et au simple relais bien intentionné de fausses nouvelles, aux manipulations technologiques mal intentionnées et à la propagande. Mais une fausse information reste une fausse information, considère Anne-Frédérique. « Ça englobe des parodies comme Le Journal de Mourrial ou Le Revoir. »

Les jeunes sont-ils plus ou moins enclins à se méfier des sources d’information ? Rien n’est moins sûr, mais peu d’études existent. Aux États-Unis, on a plutôt utilisé la variable de l’affiliation politique : la polarisation est spectaculaire, ce qui ne surprend plus.

''J’étais sensible aux mécanismes du cerveau qui font qu’on tombe ou non dans le panneau'', dit Anne-Frédérique.

Lors d’une journée pédagogique, le 12 janvier 2021, en pleine pandémie, en ligne, une centaine de personnes ont suivi sa présentation, soit la vaste majorité du personnel enseignant de Brébeuf. Les participants n’ont pas qu’appris des conseils à transmettre, c’est personnellement qu’ils ont pris conscience de certains comportements à changer.

Ces collaborations entre bibliothécaires et enseignants enthousiasment Anne-Frédérique. Elle a déjà adapté sa présentation à différents publics étudiants, pour les membres du Club scientifique du collège, pour le département Sciences Lettres & Art, pour un cours de sociologie, etc.

Une des présentations d’Anne-Frédérique a été filmée et est depuis en ligne, accessible pour tous les intervenants de son collège.

Anne-Frédérique commence ses présentations en projetant une citation du psychologue-auteur Daniel J. Levitin : on peut apprendre quand on sait ne pas tout savoir, si on croit tout savoir, apprendre est impossible. C’est la prémisse et c’est, avec l’information, une posture d’humilité à garder.

Et les médias dans tout ça ?

Le Centre québécois d’éducation aux médias et à la qualité de l’information (CQÉMI) a développé une formation, « 30 secondes avant d’y croire », pour contrer la désinformation.

Jean-François Racine, journaliste

Jean-François Racine, journaliste au Journal de Québec, est un des formateurs du Centre. Il a donné cette formation des dizaines de fois dans l’est du Québec, surtout au secondaire, parfois au collégial. « C’est souvent plus difficile dans les cégeps : à leur âge, les étudiants ont des idées plus arrêtées, c’est plus difficile de “changer le moule”. » En Beauce, après la formation, une étudiante lui a lancé que c’était peut-être plus lui, le « bullshiteux en chef » ! « C’est plus facile au secondaire ; par contre, ils ne connaissent pas du tout les médias traditionnels. » Il prend le temps de parler de son métier, d’éthique, des coûts d’une information de qualité, etc.

Il prend le temps de parler de son métier, d’éthique, des coûts d’une information de qualité, etc.

Alimenté par la désinformation, c’est le déferlement d’insultes, de messages haineux et violents reçus au Journal pendant la pandémie qui l’a motivé à donner ces formations. « C’est une minorité de gens, mais pendant le confinement, on dirait qu’ils n’avaient rien d’autre à faire ! » Au point où ce harcèlement lui a fait penser parfois à changer de métier. Curieusement, c’est la fin du confinement et la guerre en Ukraine qui ont fait de beaucoup chuter ces messages.

Certains groupes sont très motivés et intéressés, d’autres non. « Ça parait quand un enseignant attache lui-même de l’importance aux affaires publiques ou à la qualité de l’information ! »

 

DES RESSOURCES

On peut contacter Anne-Frédérique Champoux à anne-frederique.champoux@brebeuf.qc.ca

Voici quelques ressources utilisées par Anne-Frédérique Champoux :

Les institutions et enseignants qui souhaiteraient recevoir la visite de journalistes et de formateurs pour parler de désinformation peuvent s’adresser au CQÉMI sur leur site www.cqemi.org.