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Injecter du plaisir et de l’humour dans les cours

Par Thérèse Lafleur

Comment rendre les cours plus amusants qu’ils n’en ont l’air ? En adoptant une approche ludique et en en misant sur l’humour. Et c’est sérieux !

L’approche que proposent Sharon Lauricella, professeure agrégée en communication d’Ontario Tech University et T. Keith Edmunds, professeur d’administration de l’Assiniboine Community College se veut une introduction à la pratique de la « pédagogie ludique ».

De son côté Saul Bogatti, professeur au Cégep Garneau, utilise l’incongruité de l’humour pour stimuler les apprentissages.

De tels contextes à la fois positifs et efficaces peuvent être source de motivation. Bref, donner envie d’apprendre.

 

Apprivoiser la pédagogie ludique

Lors du congrès Connexion 2021 de Collèges et Instituts Canada (CICan), les professeurs Sharon Lauricella et T. Keith Edmonds ont présenté leur approche de la pédagogie ludique avec une introduction inspirée de Star Wars. L’idée était lancée, un contexte académique traditionnellement sérieux peut aussi être ludique.En s’appuyant sur la recherche et en s’inspirant de leur pratique, ces professeurs identifient le jeu, le plaisir, l’entrain et l’humour comme des leviers d’apprentissage.


 

Sharon Lauricella, professeure agrégée, Ontario TechUniversity
 

T. Keith Edmunds, professeur, Assiniboine Community College

« La COVID-19 a créé une pénurie d’expériences sociales, mais les cours peuvent être un lieu pour rencontrer de nouveaux amis et faire de l’apprentissage une expérience agréable » écrivent Sharon Lauricella et T. Keith Edmunds dans leur article A Serious Look at Fun in College Classrooms publié dans Inside Higher Ed. Dans cet esprit, ils encouragent les enseignants à multiplier les expériences positives en recourant au jeu et au plaisir tout en veillant à la rigueur académique.En l’absence d’une vie de campus, une approche ludique riche d’interactions peut encourager la persévérance selon eux.

Pourquoi intégrer la pédagogie ludique ?

En intégrant la notion de plaisir aux cours, pourquoi ne pas en faire les temps forts de la vie étudiante, COVID-19 ou non. Apprendre dans le plaisir soutient la motivation et allège le poids des efforts qu’il faut faire pour intégrer des connaissances ou développer des compétences souligne madame Lauricella. Enseigner avec humour peut dénouer bien des tensions et avoir de réels effets sur l’environnement d’apprentissage.

Comment enseigner ludiquement ?

De la maternelle à l’université, il semble que la notion de plaisir soit progressivement évacuée de la pédagogique formelle mentionne monsieur Edmunds. Au fil du temps, cela devient « sérieux » d’étudier. Peut-être y perd-on au change. Les professeurs Lauricella et Edmunds expliquent que la création et l’adoption de méthodes non traditionnelles peuvent effectivement rendre l’expérience collégiale à la fois plus amusante et mémorable, non seulement pour les étudiants, mais aussi pour les enseignants .Plusieurs voies sont possibles pour intégrer le plaisir dans une classe, en présentiel ou en ligne comme actuellement. Cependant, que ce soit lors de jeux de rôles ou de présentations, etc., il est capital de considérer les références culturelles et générationnelles des étudiants pour que la stratégie ludique fonctionne.

Utiliser l’humour. Pierres angulaires de la pédagogie ludique, le rire et l’humour doivent cependant être en phase avec les apprentissages visés. Ils suggèrent de recourir à des exemples amusants et pertinents qui laissent l’empreinte de connaissances intégrées dans le plaisir.

Ludifier, « gamifier » l’apprentissage. Ajouter des éléments de jeux à des apprentissages sérieux est prometteur selon eux. Les sondages ou les jeux en ligne constituent d’excellentes introductions à de nouveaux sujets. Les jeux-questionnaires permettent aux étudiants de vérifier leur compréhension, de demander des précisions ou encore d’évaluer leurs opinions. Cette ludification ouvre la porte à plus d’interactions prof-étudiant et aussi entre étudiants. Par exemple, une compétition amicale entre étudiants permet d’analyser et d’intégrer certains concepts du travail d’équipe.

Susciter la collaboration. Le plaisir d’apprendre peut contribuer à l’amélioration des relations interpersonnelles. C’est une forme d’activité sociale qui peut jouer sur la cohésion du groupe. Pour eux, le recours aux ateliers et aux présentations en équipe sert bien cette stratégie applicable en présentiel ou en virtuel, en synchrone ou en asynchrone.

Être un modèle ludique. Enseigner en intégrant le jeu et l’humour à son approche pédagogique c’est bien. Mais faire soi-même preuve d’empathie, d’enthousiasme et d’ouverture c’est encore mieux. Monsieur Edmunds rappelle qu’une attitude optimiste et teintée d’humour ouvre la porte à un environnement d’apprentissage plus détendu sans pour autant que les activités ludiques ne deviennent un « comédie club ».

Madame Lauricella et monsieur Edmunds encouragent les enseignants à oser sortir de leurs zones de confort quitte à y perdre un peu de leur lustre en sachant rire d’eux-mêmes. En somme, selon ces professeurs, prendre le risque d’offrir des activités d’apprentissage amusantes, parfois surprenantes ou même hilarantes,c’est plonger les étudiants dans le plaisir d’apprendre. Un plaisir partagé, stimulant. Une attitude positive qu’ils pourront éventuellement transposer en société et au travail.

 

Saul Bogatti, professeur, Cégep Garneau

 

Enseigner avec l’humour

Saul Bogatti, professeur au Cégep Garneau, intègre l’humour comme stratégie pédagogique dans ses cours d’italien. En entrevue, monsieur Bogatti mentionne que son approche a toujours été humoristique, mais sans avoir nécessairement d’objectifs pédagogiques. Initialement l’humour lui servait à détendre l’atmosphère en classe et à créer une proximité avec ses étudiants. Au fil du temps et comme bien des professeurs de langues, il se questionnait sur ce que retenaient les étudiants après une ou deux sessions d’études. Comme il reste en lien avec ses étudiants, il leur a demandé informellement quels souvenirs ils avaient de leurs cours. La réponse la plus courante tournait autour d’une blague en lien avec l’apprentissage du vocabulaire.

« À partir de ces témoignages de mes étudiants, je me suis dit que l’humour pouvait avoir un impact sur l’apprentissage. Comme je faisais une maîtrise Performa à l’Unversité de Sherbrooke, j’ai trouvé intéressant d’étudier l’humour à des fins pédagogiques. Est-ce possible d’intégrer l’humour d’une manière qui fait rire et qui met de l’ambiance oui, mais est-ce qu’on peut apprendre plus ? Après une revue de la littérature sur le sujet, j’ai créé du matériel pédagogique intégrant l’humour pour favoriser la rétention du vocabulaire. J’ai choisi de présenter quatre leçons de mon cours d’une manière humoristique pour enseigner un certain nombre de mots tout en respectant le plan-cadre du cours. J’ai mené cette expérience en classe pendant quatre semaines pour réaliser une étude qualitative. Ont suivi une collecte de données, un questionnaire en ligne et un groupe de discussion pour recueillir des informations traitées ensuite par le Bureau de la recherche du Cégep Garneau. Afin de ne pas biaiser les résultats, je me suis retiré de cette étape de compilation. Sur les 128 étudiants provenant de plusieurs programmes, 111 ont participé à l’étude fournissant des informations qui avaient quand même du poids. »

Apprendre en comprenant pourquoi nous rions

À la lumière de son expérimentation, monsieur Bogatti précise qu’avant tout l’humour doit être compris et apprécié pour être efficace. Bien que cette logique semble aller de soi, cela demeure très important explique-t-il : « Parce que si je fais du matériel humoristique avec des finalités pédagogiques, je dois être certain que l’humour soit compris, surtout dans un cours de langue. Cela exige d’avoir le bon niveau de vocabulaire et de m’assurer que ce matériel soit actuel et en lien avec la réalité étudiante comme les mèmes, les vidéos, etc. Donc avant de créer mes outils pédagogiques humoristiques, j’ai fait des sondages pour connaître les activités considérées drôles aujourd’hui par les étudiants. Il ne s’agit pas de faire seulement des blagues en classe, mais d’attacher l’humour à des concepts. »

Il poursuit en précisant que : « l’humour stimule l’apprentissage en amenant le cerveau à résoudre l’incongruité qui est présente dans une situation humoristique et à comprendre pourquoi nous rions. C’est pour cela qu’il est important de comprendre l’humour, d’intégrer ce processus en pédagogie. De plus, si nous créons des images drôles, les étudiants vont les consulter plusieurs fois et spontanément vont revoir la matière que nous voulons communiquer. Cela ne signifie pas de ne pas faire de blague en classe, mais pourquoi ne pas utiliser efficacement l’humour comme levier pédagogique en l’intégrant au contenu de cours ? »

D’ailleurs les étudiants apprécient les situations où le prof se met en jeu, monsieur Bogatti l’a bien sûr expérimenté. En général dit-il, cela crée un lien avec les étudiants que le prof ne se prenne pas au sérieux sans toutefois perdre sa crédibilité.

Il insiste aussi sur l’importance de doser, l’humour peut être présent, mais de manière équilibrée. « Un cours ne peut pas être complètement humoristique, les étudiants ont toujours besoin d’avoir un aspect sérieux pour que l’expérience d’apprentissage demeure significative. J’ai créé quatre leçons humoristiques sur les treize leçons que comporte le cours et j’estime que c’est un bon choix. »

La préparation du matériel doit se faire à l’avance, c’est primordial dit-il. « Il faut travailler fort pour concevoir le meilleur angle possible de présenter un contenu de manière humoristique afin que le contenu soit compris et apprécié. Normalement l’humour c’est drôle. Mais cela peut devenir sérieux si nous voulons l’utiliser en pédagogie. Cela exige de bien réfléchir pour s’assurer de trouver les bonnes références pour les étudiants. Mais somme toute, comme enseignant j’y trouve aussi mon compte et c’est toute la vie en classe qui en bénéficie. »

Il insiste sur la distinction entre le ludique et l’humour : « C’est important de distinguer le ludique — jeu en classe, jeu de rôle, etc. — de l’humour. Par exemple, faire un jeu de mots croisés en italien est ludique, mais pas nécessairement drôle. L’humour peut faire partie de l’esprit ludique. Plus spécifiquement, l’humour comme j’en traite est un processus qui demande de résoudre une incongruité. Le ludique et l’humour peuvent exister l’un sans l’autre. Ils peuvent aussi être considérés ensemble s’il y a résolution de l’incongruité. »

L’impact de l’humour

Recourir à l’humour pour créer des relations est connu. Mais utiliser stratégiquement l’humour pour générer des apprentissages est moins familier. Ce tableau élaboré par monsieur Bogatti illustre les effets de l’humour selon différentes perspectives. 


Source : Saul Bogatti

Son article Je ris, tu ris… nous apprenons publié dans Pédagogie collégiale présente les détails de la démarche de monsieur Bogatti qui conclut sur cette pensée d’Ionesco « l’humour est le sourire de l’intelligence ».