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Le Cégep de Rosemont, précurseur dans l’encadrement de l’IA
En août, le ministère de l’Enseignement supérieur a publié les grandes orientations qui guideront l’intégration de l’IA dans le réseau collégial. Le Cégep de Rosemont n’a pas attendu la fin des travaux du ministère pour commencer à encadrer cette technologie. L’an dernier, il était l’un des premiers à se doter de balises pour clarifier les modalités d’utilisation de l’intelligence artificielle générative (IAG) en ses murs.
Par Élise Prioleau, rédactrice

En novembre 2022, Chat GPT est arrivée comme un tsunami dans le milieu de l’éducation, se souvient Geneviève Courcy, directrice adjointe des études au Cégep de Rosemont. « On a décidé d’être proactifs pour répondre à cette nouvelle technologie, avec laquelle on allait devoir composer à l’avenir. Le plus urgent était de mieux encadrer les situations de plagiat et de fraude. »
En 2023, un comité d’intelligence artificielle a été mis sur pied afin de réfléchir aux principes d’une utilisation responsable des technologies au cégep. En d’autres mots, il s’agissait que l’IA soit intégrée de manière cohérente avec les valeurs et la mission du cégep. Une procédure a d’abord été adoptée pour répondre aux cas de fraude impliquant l’IAG. Pour les déceler, l’entretien de validation, concocté par le Cégep à distance pendant la pandémie, a été recommandé par le collège.
Par la suite, à l’hiver 2024, le Cégep de Rosemont a adopté des balises autour de l’utilisation de l’IAG pour ses étudiants et le personnel enseignant. Trois grands principes sont à l’œuvre dans ce guide précurseur : l’intégrité intellectuelle, l’autonomie professionnelle et le soutien à l’apprentissage.
L’intégrité intellectuelle, prévention et sensibilisation
Au Cégep de Rosemont, les étudiants sont tenus de déclarer et « documenter l’utilisation de l’IAG à chaque étape où elle a contribué à la production du contenu ou de la forme de quelque nature que ce soit », peut-on lire dans le document qui explicite les balises du cégep.
Marianne St-Denis, enseignante de biologie au Cégep de Rosemont se dit rassurée de pouvoir compter sur des balises qui indiquent clairement de quelle manière l’IA est autorisée au cégep.
« Lorsqu’on demande aux étudiants de faire des travaux à la maison, c’est devenu très tentant pour eux d’utiliser l’IA. Certains de mes étudiants m’ont confié avoir été tentés d’utiliser l’IA lorsqu’ils ont vu certains de leurs pairs utiliser l’IA sans se faire prendre et décrocher ainsi une note supérieure à la leur », relate l’enseignante.
Certains de mes étudiants m’ont confié avoir été tentés d’utiliser l’IA lorsqu’ils ont vu certains de leurs pairs utiliser l’IA sans se faire prendre et décrocher ainsi une excellente note, supérieure à la leur.
Marianne St-Denis, enseignante de biologie au Cégep de Rosemont
Un récent sondage réalisé par le Pôle interordres de Montréal auprès de 3714 étudiants et étudiantes de huit cégeps montréalais démontre que l’utilisation de l’IA s’est généralisée l’an dernier. 53 % des étudiants sondés disent utiliser l’IAG dans le cadre de leurs études. Parmi ceux-ci, la moitié a commencé à l’utiliser en 2024-2025. Pour inciter les étudiants à utiliser l'IA de manière responsable, le Cégep de Rosemont a choisi de les sensibiliser. « On diffuse des capsules sur les télés du cégep et on envoie des communications par courriel à la mi-session et à la fin de session pour sensibiliser les étudiants à l’importance de l’intégrité intellectuelle et pour leur rappeler l’existence des balises adoptées par le cégep en ce sens », précise Geneviève Courcy, directrice adjointe des études au Cégep de Rosemont.
Les enseignants, quant à eux, ont dû repenser leurs méthodes d’évaluation. Plusieurs d’entre eux ont dû remplacer les travaux faits à la maison par des examens réalisés en classe, pour s’assurer que les étudiants n’ont pas eu accès à l’IA pour réaliser le travail. « D’autres vont essayer de minimiser la présence de l’IA dans les travaux étudiants en rendant les tâches plus complexes ou moins accessibles pour l’IA », complète Louis Normand, conseiller pédagogique au Cégep de Rosemont. « Le rapport des enseignants et enseignantes à l’IA est variable. Pour certains, il importe de trouver des moyens pour que l’IA ne puisse pas intervenir dans les évaluations. Au contraire, d’autres s’intéressent à des moyens d’intégrer l’IA dans leurs activités pédagogiques. Il s’agit de les accompagner au cas par cas », complète-t-il.
Intégrer l’IA au cas par cas, dans le respect de l’autonomie professionnelle
Étant donné la diversité des besoins des enseignants en ce qui concerne l’intelligence artificielle générative, le Cégep de Rosemont a choisi l’autonomie professionnelle comme deuxième grand principe pour encadrer son utilisation. « Par conséquent, le personnel enseignant a le choix de permettre aux personnes étudiantes d’utiliser ou non les applications d’IAG dans le cadre des activités pédagogiques et d’évaluation », selon le Collège de Rosemont.
Afin de clarifier leur position auprès des étudiants, les enseignants sont tenus d’identifier dans les plans de cours si l’IA est admise ou non dans les activités du cours. « Dans tous les plans de cours, il y a une section sur l’utilisation de l’IA où les enseignants précisent si l’IA peut être utilisée ou non dans leurs cours, dans quelles activités pédagogiques et de quelle façon ils peuvent l’utiliser. Cela permet d’encadrer différemment l’utilisation de l’IA dans chacun des contextes d’apprentissage et selon les besoins des enseignants », explique Geneviève Courcy.
Par la suite, les enseignants qui admettent l’IA dans une de leurs activités pédagogiques sont également tenus de présenter à leurs étudiants des exemples de bonnes pratiques de l’IA en fonction du contexte d’enseignement.
L’an dernier, le comité d’intelligence artificielle du Cégep de Rosemont a adopté une série d’outils afin de faciliter l’encadrement de l’usage de l’IA dans les activités pédagogiques. Parmi ces outils figurent un arbre décisionnel pour aider les étudiants à se poser les bonnes questions avant l’utiliser une IA, un formulaire et des logos pour déclarer l’utilisation de l’IA dans un travail et un guide explicatif sur l’entretien de validation comme outil de détection de fraude.

L’IA comme soutien à l’apprentissage
La position du Cégep de Rosemont vis-à-vis de l’IA est alignée sur celle du ministère de l’Enseignement supérieur. Il s’agit de prévenir les dérives associées à la technologie, mai aussi de tirer profit de son potentiel. Car, comme le souligne Geneviève Soucy, « dans 3 à 5 ans, l’IA sera encore plus présente sur le marché du travail, en particulier dans les domaines techniques : on ne peut pas faire comme si ça n’existait pas. On mise toutefois sur une approche prudente. Il ne faut pas que ce soit un gadget, il faut qu’il y ait une plus-value à l’apprentissage », souligne la directrice adjointe.
Dans 3 à 5 ans, l’IA sera encore plus présente sur le marché du travail, en particulier dans les domaines techniques : on ne peut pas faire comme si ça n’existait pas.
Geneviève Courcy, directrice adjointe des études au Cégep de Rosemont
Le cégep a donc la responsabilité d’informer, mais aussi de former ses étudiants à l’utilisation de l’IA. « L’IAG devient un objet d’apprentissage. C’est sûr que si on laisse les étudiants utiliser l’IAG de manière sauvage, sans les encadrer, on risque d’avoir des utilisations qui ne sont pas tout à fait responsables », poursuit Louis Normand.
D’où la nécessité d’intégrer cette technologie de manière réfléchie en éducation supérieure, d’ajouter des compétences en IA dans les programmes de cours et de modifier certaines compétences techniques devenues désuètes. « J’ai la sensation que l’IA est incontournable. Les établissements et l’ensemble des intervenants en éducation vont devoir en tenir compte quand viendra le temps de réviser les programmes », prévoit le conseiller pédagogique.
Cette réflexion, le Cégep de Rosemont l’a déjà commencée. Tous les ans, des enseignants seront libérés pour réfléchir à l’intégration de l’IA dans les différents programmes. Malgré les craintes associées aux dérives de l’IA, force est de constater que cet outil offre de nombreuses possibilités en éducation.
En psychologie, des profs l’utilisent pour faire des jeux de rôle, où l’IA joue le rôle d’un patient avec lequel les étudiants peuvent interagir à partir des notions de psychologies apprises dans le cours.
Louis Normand, conseiller pédagogique au Cégep de Rosemont
« Pour l’étudiant, ça peut être un formidable outil d’étude. L’étudiant peut demander à l’IA de lui poser des questions pour voir s’il a compris, reformuler ou expliquer un passage compliqué », reconnaît Marianne St-Denis, enseignante en biologie. « En psychologie, des profs l’utilisent pour faire des jeux de rôle, où l’IA joue le rôle d’un patient avec lequel les étudiants peuvent interagir à partir des notions de psychologies apprises dans le cours », ajoute Louis Normand, conseiller pédagogique.
Reste encore à peaufiner les termes d’un encadrement rigoureux de l’intelligence artificielle en éducation supérieure. Des enjeux éthiques tels que l’accessibilité de ces outils ainsi que leurs impacts sur l’environnement restent encore à réfléchir collectivement.