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Sylvain Gaudreault en entrevue

Une Saglac de région éducative

Nous avons rencontré M. Sylvain Gaudreault, directeur général du Cégep de Jonquière, pour savoir comment il apprivoisait son nouveau job qu’il avait confié être un « poste politique » au journal Le Quotidien. On n’en a pas parlé. De politique. Ou presque.

Olivier Veilleux-Spénard, Portail du réseau collégial

Même si la réputation de la formation générale est parfois malmenée, M. Gaudreault la considère comme la plus grande force des cégeps. Agile sur sa chaise comme Rafaël Harvey-Pinard sur la glace, il se propulse vers l’arrière pour agripper la biographie du célèbre sociologue Guy Rocher, dont les travaux et la participation à la commission Parent ont mené à la création des cégeps, entre autres. « Ça m’inspire, ça, développer la pensée critique et démocratiser l’accès au savoir. C’est au cœur de la mission des cégeps, et c’est encore plus vrai aujourd’hui en cette ère de fake news et de deep fake news où l’on peut voir une entrevue de Justin Trudeau par Joe Rogan montée de toute pièce! »

Il considère que la formation générale est « indispensable pour amener une société à s’affranchir et réfléchir par elle-même. » Voilà une bonne occasion de citer Einstein : la valeur d'une éducation [supérieure] n'est pas l'apprentissage de nombreux faits, mais l'entraînement de l'esprit à penser.

« Il ne faut jamais perdre de vue les étudiants de premières générations, des étudiants issus de familles dans lesquelles aucun membre n’a fréquenté l’éducation supérieure. »

Sa vision du rôle des cégeps dans les régions nous ramène à la raison fondamentale derrière la création des cégeps : l’accessibilité à l’enseignement supérieur à la grandeur du Québec. Il se dit « particulièrement fier d’être le directeur général du cégep qui offre l’enseignement collégial dans Charlevoix, car au-delà de la carte postale, une région éloignée des grands centres et peu populeuse comme Charlevoix, aussi belle soit-elle, fait face à son lot d’enjeux économiques. C’est aussi vrai pour une ville comme Jonquière, mais c’est vraiment dans des endroits comme Charlevoix que l’on sent l’importance de l’accès à l’éducation supérieure. »

En région ou non, une contribution significative des cégeps à la société québécoise, selon Sylvain Gaudreault, est sans doute la mobilité sociale que ces établissements génèrent. Et pour que ça continue, « il ne faut jamais perdre de vue les étudiants de premières générations, des étudiants issus de familles dans lesquelles aucun membre n’a fréquenté l’éducation supérieure ».

Les étudiants étrangers

On ne peut passer à côté du rôle des cégeps dans l’accueil des immigrants. Au Cégep de Jonquière, la proportion d’étudiants étrangers est en pleine croissance et, cette session, environ 10% de la clientèle vient de l’international. Dans Charlevoix, une cohorte en soins infirmiers ne compte pas moins de 23 étudiantes qui proviennent du Maroc, de la Tunisie et du Cameroun, avec pour objectif d’exercer la profession d’infirmière.

On observe également cette tendance dans les autres cégeps en région qui ont vu les demandes d’admission d’étudiants étrangers exploser en 2023. « On a beaucoup progressé, mais il y a encore du travail à faire en termes d’accueil, oui, mais aussi de bienveillance. » On parle ici de continuer à améliorer l’accompagnement dans la recherche de logement ou d’hébergement, dans l’absorption du choc culturel à leur arrivée, et de francisation.

Sur ce dernier point, M. Gaudreault qualifie de « joyau » le Centre linguistique du Cégep de Jonquière qui, entre autres, offre des parcours de francisation durant l’été à près de 500 personnes par l’entremise du programme Explore. L’utilisation de nos établissements d’enseignement supérieur dans l’accueil de travailleurs et d’étudiants constitue un grand avantage pour nos entreprises en recherche de main-d’œuvre, selon l’ancien député. Les centres de francisation et d’accueil des immigrants avec les cégeps semblent en effet former un bon duo.

La recherche collégiale

Sa lecture du rôle des cégeps dans la recherche, en tant que nouveau directeur général, est intéressante. Il y voit là un aspect du réseau collégial à redorer. « C’est le défi des programmes préuniversitaires, de constamment réaffirmer que les cégeps sont des établissements d’enseignement supérieur et non une période tampon entre le secondaire et l’université. Nous avons par exemple des étudiants en sciences humaines et en sciences de la nature, embauchés comme étudiants-chercheurs au centre ÉCOBES, où ils peuvent développer des habiletés et méthodologies de recherche fondamentale. »

« Comme député, lorsqu’on entrait en caucus pour préparer des plateformes électorales, je consultais souvent ÉCOBES et le Conseil régional de prévention de l’abandon scolaire du Saguenay–Lac-Saint-Jean (CRÉPAS) pour prendre des décisions de la façon la plus éclairée possible. »

M. Gaudreault trouve quelque peu ingrat le fait que la recherche dans les cégeps soit si peu reconnue et croit que la population gagnerait à découvrir à quel point elle est particulièrement appliquée sur le terrain.

« Comme député, lorsqu’on entrait en caucus pour préparer des plateformes électorales, je consultais souvent ÉCOBES et le Conseil régional de prévention de l’abandon scolaire du Saguenay–Lac-Saint-Jean (CRÉPAS) pour prendre des décisions de la façon la plus éclairée possible. On se basait en partie sur leurs résultats de recherche. Ou encore lors d’une mobilisation du milieu communautaire à Jonquière, j’avais personnellement fait la démarche auprès d’ÉCOBES pour documenter la place du milieu communautaire et ce que le milieu amène comme changement social dans notre communauté. »  

Pour lui, le rôle de la recherche collégiale est pragmatique : « Ça aide la prise de décisions des élus, des entreprises, ce n’est pas de la sous-recherche, c’est hyper important, et c’est LE critère qui démontre que nous sommes des établissements d’éducation supérieure. »

M. Gaudreault s’enthousiasme particulièrement pour le lancement d’un observatoire de recherche sur la santé mentale des étudiants, codirigé par des chercheurs de l'Université de Sherbrooke et du Cégep de Jonquière.

M. Gaudreault, DG du cégep, voit « toute la richesse » de pouvoir encourager les cursus menant à la recherche fondamentale en formant le plus tôt possible des étudiants-chercheurs dans nos programmes préuniversitaires, que ce soit à même le cégep, chez ECOBES, au Centre de production automatisée (CPA), ou dans un des 59 CCTT du réseau collégial. Ça part bien une carrière académique, comme on dit.

La recherche au cégep l’épate. « C’est ma grosse découverte. » Ce qui l’impressionne est la progression qu’il constate quand les enseignants ont la chance d’accompagner et de diriger les étudiants vers la recherche. « Pour certains, ç’a carrément changé leur parcours professionnel, et une fois à l’université, on atteint parfois un deuxième cycle de maitrise, on pense au doctorat… » La recherche au collégial est donc pour lui un levier important pour la réussite, voire l’excellence scolaire, en plus d’avoir « cette particularité d’être appliquée et implantée directement sur le territoire. »

Le pouvoir d’une région éducative

Avoir 4 cégeps dans une région de moins de 300 000 habitants est exceptionnel. Pour ce qui est de savoir s’il n’y a pas là compétition entre les cégeps de Saint-Félicien, Alma, Jonquière et Chicoutimi, il nous dit n’exagérer qu’à peine en affirmant parler à un ou une de ses collègues tous les jours. « On est vraiment dans une dynamique de coopération. On travaille par exemple ensemble dans le cadre du Pôle sur les transitions en enseignement supérieur » qui vise à favoriser l’accès et la réussite des études supérieures, l’adaptation des parcours de formation et l’insertion socioprofessionnelle de clientèles spécifiques. « Et chacun a ses couleurs, ses créneaux. »

La recherche au cégep l’épate. «C’est ma grosse découverte.»

Le plus fort pour les 4 cégeps de la région est pour lui la collaboration avec l’UQAC. « Je crois qu’on est en train de créer quelque chose de nouveau, les 4 cégeps et l’UQAC, » en traçant quelques cursus scolaires entièrement offerts au Saguenay–Lac-Saint-Jean. « Lorsque tu regardes la carte des programmes qui sont offerts du cégep à l’université, on a tout ce qu’il faut pour offrir une diversité économique à la région. C’est un atout pour l’avenir de la région, pour éviter qu’on pogne la grippe chaque fois que Rio Tinto ou que l’industrie forestière éternue. »

Procédures gouvernementales

« Oui », affirme-t-il, l’actualisation des programmes préuniversitaires va bien… « mais c’est un peu trop long à changer. Contrairement aux universités, les cégeps sont soumis à beaucoup plus de procédures ministérielles de sorte que l’actualisation des programmes peut parfois sembler désuète une fois prête à être implantée. » C’est comme le mythe urbain du pont de Québec, qui, comme lui disait sa mère, est « si long à peinturer que lorsqu’ils finissent un bout, il faut recommencer l’autre. »

«Contrairement aux universités, les cégeps sont soumis à beaucoup plus de procédures ministérielles de sorte que l’actualisation des programmes peut parfois sembler désuète une fois prête à être implantée.»

Que pense-t-il d’un collège privé comme André-Grasset qui offre maintenant un programme similaire à celui d’Art et technologies des médias, exclusivement offert à Jonquière dans le réseau public? « Je n’ai rien contre les collèges privés, mais je crois que le chapitre dans la loi sur l’enseignement supérieur devrait tenir compte de la réalité des cégeps publics, car on mène des batailles incroyables pour assurer l’exclusivité d’un programme pour des raisons pédagogiques, de développement régional et d’occupation du territoire et, en parallèle, comme un angle mort, il y a la loi sur l’enseignement privé. » Il conclut que tôt ou tard, il faudra en tenir compte pour assurer une cohérence dans la nature et le rôle de l’enseignement collégial.

Direction carboneutralité

Ces jours-ci, il a envie de parler de la nouvelle dimension de carboneutralité intégrée à la structure administrative de l’établissement. « Ça envoie un message fort. » M. Gaudreault veut faire du Cégep de Jonquière le leader pour la transition socioécologique parmi les institutions d’enseignement supérieur du Québec. « Ce n’est pas une question de volonté. On n’a pas le choix. Il est minuit “et” une. »

« La mission des cégeps, ce sont les générations futures. Si les cégeps ne sont pas à l’avant-garde de ces combats-là et ne donnent pas l’exemple, je me demande qui le fera. »