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Quand 12 cégeps des régions éloignées unissent leurs voix
Par Alain Lallier
Entretien avec Mme Marie-Claude Deschênes, directrice générale du Cégep de La Pocatière et porte-parole pour le Regroupement des cégeps de régions (RCR)
Pourquoi créer un tel regroupement ?
Le ministère de l’Enseignement supérieur lançait en février 2020 un nouveau cadre de gestion de l’offre de formation collégiale. Une des priorités du Ministère visait le rehaussement des devis dans les milieux où les perspectives démographiques étaient à la hausse, et ce, afin d’accueillir les nouvelles étudiantes et les nouveaux étudiants selon les prévisions du Ministère jusqu’en 2026.
Pour le Regroupement des cégeps de régions, « le problème réside dans la façon dont le Ministère a choisi de procéder, explique Marie-Claude Deschênes. Les 48 cégeps ont été regroupés en quatre groupes. Les cégeps des régions éloignées — les 12 du Regroupement des cégeps des régions — se trouvaient dans le quatrième et dernier groupe à faire l’objet d’une analyse. Dès la présentation de cette démarche devant les directions générales réunies, plusieurs de mes collègues et moi avons affirmé qu’il était impossible de progresser de cette façon, parce que nous fonctionnons dans un écosystème. Si le Ministère veut rehausser le devis des cégeps des grands centres, il va alors fragiliser ceux à l’autre bout du cycle qui vivent une réalité tout à fait différente. Les cégeps des régions éloignées ont des perspectives démographiques qui sont soit à la baisse, soit stables parce qu’à la baisse depuis plusieurs années. Bref, un fossé se créait, et nous étions très inquiets. »
"Si le Ministère veut rehausser le devis des cégeps des grands centres, il va alors fragiliser ceux à l’autre bout du cycle qui vivent une réalité tout à fait différente."
Mener les travaux en concomitance
Les cégeps des régions ont demandé à ce que les travaux se fassent simultanément avec tous les groupes concernés et en toute transparence. « Nous étions conscients que l’annonce du rehaussement des devis pouvait s’accompagner d’investissements. Nous avons donc demandé à ce que les travaux soient faits de façon concomitante, qu’une analyse d’impact soit réalisée et que les solutions proposées soient adaptées aux cégeps des régions éloignées, afin que les annonces couvrent l’ensemble du territoire québécois. Nous sommes conscients qu’il n’y aura pas de rehaussement des devis pour nos cégeps. On ne s’y attend pas. Nous ne préparerons pas le rehaussement, car il reste de la place dans chacun de nos cégeps. »
9000 places disponibles en région
Les 12 cégeps regroupés comptent sur un devis de 25 000 places. Actuellement, 16 000 places sont occupées et 9 000 sont disponibles. « On va donc agrandir des cégeps de Montréal à grands frais, ouvrir de nouveaux programmes, alors que de nombreuses places sont disponibles en région. Plus l’offre est alléchante, plus la force d’attraction augmente. Nous comprenons que les régions ne peuvent offrir tous les programmes d’études et que les étudiantes et les étudiants, qui n’ont pas de place dans la région de Montréal, ne viendront pas tous étudier en région éloignée. Mais nous pouvons prendre des mesures pour favoriser la mobilité. Avec la pandémie et l’augmentation du télétravail, nous sentons un mouvement, un intérêt à venir vivre et travailler en région. Nous avons fait une première demande au Ministère afin d’augmenter notre attractivité grâce à une offre de programmes bonifiée. Nous voulons aussi améliorer nos infrastructures d’accueil. Nous disposons de résidences étudiantes, de centres sportifs et de piscines, qui sont souvent utilisées par les municipalités. D’ailleurs, la piscine du Cégep de La Pocatière dessert à elle seule deux MRC. Les investissements dans nos infrastructures d’accueil permettront de les rendre plus chaleureuses et d’améliorer du même coup la vie des étudiantes et des étudiants sur les campus. »
"On va donc agrandir des cégeps de Montréal à grands frais, ouvrir de nouveaux programmes, alors que de nombreuses places sont disponibles en région."
Améliorer le programme de mobilité étudiante
La troisième demande du regroupement consiste à améliorer la mobilité étudiante. Pour la porte-parole du regroupement , « Le programme de mobilité doit être puissant, attrayant, intéressant financièrement et promu à la grandeur du Québec. Ce programme existe déjà, bien que rendu à terme. Le Ministère a manifesté sa volonté de le reconduire, mais le renouveler tel quel sans y apporter les modifications requises, c’est se priver d’un puissant levier. Pour un cégep en région éloignée, faire de la publicité dans la région métropolitaine afin d’attirer des étudiantes et des étudiants constitue un défi de taille. Il faut aller de l’avant avec une campagne nationale où, au moment de choisir son programme, l’étudiante ou l’étudiant aura le choix entre tous les collèges, incluant ceux des régions. Il faut que le programme de mobilité soit reconduit, et ce, avec des mesures plus costaudes favorisant réellement la mobilité. Si trois à quatre mille étudiantes et étudiants en profitent, ce seront trois à quatre mille personnes de plus dans nos collèges. »
"Le programme de mobilité doit être puissant, attrayant, intéressant financièrement et promu à la grandeur du Québec."
Le regroupement : un désaveu de la Fédération des cégeps ?
L’apparition d’un réseau dans le réseau des collèges, alors que la Fédération des cégeps est censée représenter tous les collèges, incluant ceux des régions, pourrait-elle être perçue comme un désaveu ?
À cette question, Marie-Claude Deschênes répond : « Nous n’agissons pas contre la Fédération, nous collaborons avec elle. Et nous ne travaillons pas contre les cégeps de Montréal ou d’ailleurs, dont la réalité est bien différente de la nôtre, il faut le reconnaître. En ce qui nous concerne, nous n’étions même pas dans le décor dans l’analyse du départ. Nous avons fait comprendre au Ministère que les décisions qui seront prises auront un impact sur les régions. À ce moment-là, la Fédération des cégeps n’était pas en mesure de faire les représentations nécessaires, puisque le Ministère transigeait directement avec le Regroupement des cégeps de Montréal, qui avait été élargi aux cégeps de la RMR (Montréal et ses couronnes). Notre regroupement ne constitue pas un désaveu de la Fédération. D’ailleurs, une résolution de la Fédération adoptée par 48 cégeps a été transmise au Ministère pour le sensibiliser au fait que l’augmentation démographique à Montréal daurades impacts dans les régions éloignées et, bien sûr, dans tous les autres cégeps comme ceux de la région de Québec, de la Beauce et de la Montérégie, par exemple. »
"Nous n’agissons pas contre la Fédération, nous collaborons avec elle."
Une démarche qui obtient des résultats ?
Le RCR regroupe 12 cégeps aux réalités très différentes. Et ils sont très éloignés les uns des autres, de Sept-Îles à l’Abitibi-Témiscamingue en passant par le Saguenay–Lac-Saint-Jean. Après une année de concertation, constatent-ils des résultats ? « Nous avons fait des gains, parce que, au départ, nous étions les derniers et devions attendre notre tour. Il y a eu un engagement du Ministère et des 48 cégeps pour qu’il y ait des annonces concomitantes et des travaux en parallèle. Je considère que c’est un gain. Nous avons été en mesure de faire valoir les réalités des régions plus éloignées sur les infrastructures, la carte des programmes, le programme de mobilité étudiante. Je sens qu’il y a de l’écoute du côté du Ministère. Entre le mois de février 2020 et aujourd’hui, où l’état des finances publiques s’est détérioré, nous avons connu un recul collectif. Mais lorsqu’il y avait un investissement de plusieurs millions de dollars dans la région de Montréal, nous demandions à ce qu’il y ait aussi des annonces d’investissements dans les collèges des régions. Nous nous sommes tenus debout et avons fait valoir notre point de vue auprès du Ministère, dans nos conseils d’administration, dans nos régions et auprès des autres cégeps. »
"Je considère que c’est un gain. Nous avons été en mesure de faire valoir les réalités des régions plus éloignées sur les infrastructures, la carte des programmes, le programme de mobilité étudiante."
Comprendre la réalité de chacun
Marie-Claude Deschênes estime que cette démarche de regroupement a permis de comprendre la réalité de chacun. « Il faut travailler avec les réalités de chacun, dans le respect de chacun. Il faut que le Ministère propose des solutions adaptées aux différentes réalités. »
Des attentes élevées pour des résultats concrets
Chaque collège du regroupement peut compter sur l’appui des associations syndicales et étudiantes locales. Par exemple, l’Alliance des étudiants du Bas-Saint-Laurent a envoyé une lettre à la ministre McCann pour appuyer les travaux du regroupement. « Tous voient un avantage à ce que nos cégeps demeurent bien vivants dans nos régions tant leur importance est vitale dans leurs milieux. Les chambres de commerce, les associations d’entreprises, tous sont derrière nous et nous soutiennent. Cet appui est tellement important que, s’il fallait que le Ministère fasse fi de nos demandes et qu’il n’y ait pas de résultats tangibles dans les trois dossiers prioritaires, ça ne passerait pas. Les gens sont déterminés à ce qu’il en découle des résultats concrets ! », conclut-elle.
Voici la liste des cégeps du Regroupement:
Abitibi Témiscamingue
St-Félicien
Alma
Chicoutimi
Jonquière
Baie-Comeau
Sept-Iles
Gaspésie et des Îles
Matane
Rimouski
Rivière-du-Loup
La Pocatière